Pourquoi je m'associe au mouvement de grève des médecins
Parce que si
on ne réagit pas, demain il sera trop tard !
Je fais le
plus beau métier du monde et pourtant :
- mes
internes qui prennent beaucoup de plaisir à vous soigner à mes côtés ne s'engagent
plus dans l'installation libérale, fuient Paris, préfèrent se tourner vers une
activité salariée
- je suis
heureuse de savoir que mes enfants n'ont pas choisi la même voie que moi...
Parce
que, obliger les jeunes médecins à exercer loin de leur conjoint, de leur
famille, n'est ni une solution pérenne pour apporter des soins de qualité dans
des zones dépourvues, ni incitatif au choix de la médecine générale ;
avant de vouloir obliger l'installation dans les déserts médicaux il faut peut-être
inciter à l'installation tout court, plus personne ne s'installe actuellement.
Enfin, la notion de désert médical est relative : le quartier de la goutte d'or
qui est à 10 min à pied de mon cabinet est considéré zone de désert médical !
Parce
que, en médecine générale, nous avons les connaissances pour couvrir tous
les champs de spécialités, pour assurer les urgences, les prises en charge de
fin de vie... sans reconnaissance de notre expertise ! Parce que nous sommes
votre premier recours, par exemple nous étions les premiers confrontés au Covid
(alors même que les pouvoirs publics nous ont fait croire que le Covid n'avait
pas franchi les frontières de la Chine, nous avons eu un cas de Covid certifié
le 16 janvier 2020 au cabinet, et sans doute beaucoup d'autre non
certifiés).
Parce
que, avec dix ans d’études, notre profession refuse d’avoir un niveau de
revenus qui se situe au-dessous d’autres professions libérales qui, elles
aussi, ont des missions de service public, comme les notaires ou les huissiers,
mais dont la durée d’études est très en dessous de la nôtre. Nos études ne sont
pas payées (cette rumeur circule beaucoup), les étudiants de 5eme et 6eme
années touchent 280€ brut par mois pour 4h de travail par jour à l'hôpital
et 50€ pour une garde de nuit (il est plus rentable pour eux de faire du
baby-sitting), à partir de la 7ème année les internes sont rémunérés pour
leur travail actif à l'hôpital ou dans nos cabinets 1600€ brut par mois, et les
gardes de nuit 150€ … (j’oubliais, 1600€ brut par mois pour 58 heures de
travail par semaine en moyenne, et à
Paris c’est souvent plutôt 70h par semaine)
Parce
que nous devons avoir l'équipement nécessaire pour vous prendre en charge
au cabinet, à domicile, de façon connectée, pour les petites urgences, pour
faire face aux crises sanitaires, pour assurer des gestes techniques de
gynécologie, d'orthopédie... tout cela sans aucune majoration conséquente de
nos actes ni de temps dédié à nos formations (enfin si, en pratique on le prend
sur nos heures de sommeil ou au dépend de notre vie familiale) !
Parce que nous ne bénéficions en médecine
générale d'aucun avantage liée à l'ancienneté, nous avons également une
couverture sociale déplorable en cas de maladie, et quant à la retraite on n'en
parle même pas...
Parce
que nous voulons pouvoir rester libéraux et garder nos cabinets attractifs
pour les collaborateurs et les éventuels successeurs, ainsi qu'agréables,
confortables et propres pour les patients.
Parce que nos honoraires actuels ne nous
permettent pas d'embaucher de collaborateurs, d'assistants, d'investir dans nos
cabinets et de proposer une meilleure qualité de prise en charge à nos
patients.
Parce
que l'assurance maladie exerce de plus en plus de contrôles et limite nos
activités, et de façon peu cohérente ! Par exemple le nombre de
téléconsultations qu'un médecin libéral effectue ne doit pas dépasser 20% de
son activité médicale (sinon il est condamné à rembourser à la CPAM les
éventuelles consultations faites au-delà de ce forfait) - par contre un
médecin qui exerce en salariat au sein d'organismes de téléconsultation tels…
(je préfère ne pas faire de pub) se voit proposer des revenus mensuels
supérieurs à 5000€ pour 35h de travail hebdomadaire en téléconsultation exclusif
sans aucun suivi des patients ni formalités administratives, et cela sans
limites ni contrôles... je me demande vraiment parfois ce qui me retiens dans
mon cabinet !
Et pour plus
être factuel quelques chiffres :
- nous
sommes passées à 25 euros la consultation en 2017, si l'on avait suivi la
progression de l'inflation nous devrions être à 29 euros
- le temps
de consultation moyen dans mon cabinet est de 27 min : cela inclus le temps
passé à vérifier par exemple vos résultats, à vous contacter, à contacter des
confrères pour avoir un avis, de vos nouvelles... Cela n'inclus pas le temps de
formation professionnelle continue - grapillé actuellement sur les heures de
sommeil.
- une fois
les charges déduites, il reste 11 euros sur les 25 euros versés pour la
consultation.
Vous
comprendrez donc que ce ne sont pas les avantages financiers de la profession
qui nous retiennent, et que l'on va facilement trouver à se reconvertir si l'on
ne fait rien pour améliorer nos conditions de travail, nos rémunérations…
Mis à jour le 12 Janv. 2023